Bergson, Le Rire
80 x 69 cm - 2012


Commentaire de l'artiste 

Chez Bergson, le rire apparaît lorsque l’acte humain s’écarte de ses obligations vitales, lesquelles imposent l’insertion du corps dans le mouvement naturel. La manifestation d’une raideur vient en contradiction d’une souplesse qui devrait épouser l’élan de la vie. Elle s’affiche de façon subite comme un mouvement mécanique anormalement plaqué sur du vivant. Et cet événement est par essence risible, explique Bergson. Dans la composition photographique, le poids du livre pèse sur une croix. Celle-ci devrait être entrainée dans un mouvement de rotation. Mais s’agissant d’une croix chrétienne, une de ses branches est trop longue et la mécanique se bloque. Elle bute sur le bord de l’image et ne peut plus tourner. La croix est posée sur une pente ascendante évocatrice de l’élan vital bergsonien. Elle suit une ligne qui sépare un espace vert, propre à l’espérance propre au spirituel, et une espace rose, propre au vivant quand le rouge sang se teinte du blanc de l’interrogation intellectuelle. Dans « L’évolution créatrice », son ouvrage central, Henri Bergson exclut le l’idée finaliste que l’évolution suit un plan que Dieu aurait pu initialement lui donner. Pour lui, l’évolution est fondamentalement imprévisible. Le vivant est souple, non pas tributaire d’un inexorable enchainement de causes et d’effets. L’évolution suit les mouvements d’un « monde qui va à l’aventure ». S’il s’intéresse aux mystiques qui font l’expérience objective de la spiritualité, Dieu reste pour Bergson un inconnaissable. Et donc, si la christianité de la croix, représentée par cette branche longue qui cause un blocage, apparaît ici comme la cause d’une raideur sur le fil de l’élan vital, c’est afin de poser la question de la spiritualité chez Bergson. Si l’on suit la logique de la thèse contenue dans « Le Rire », l’affirmation d’un rapport entre le vivant et Dieu devrait évoquer une forme de raideur mécanique. Car Dieu est hors du vivant pour Bergson. Alors pourquoi la religion ne fait-elle pas rire ? Sans doute parce que Dieu, représenté dans cette photographie par un cercle vert doté d’un noyau noir, ne se révélant à l’homme qu’à moitié, nous observe peut-être. Représenté sous la forme d’un demi-cercle et d’un demi-noyau, Dieu est à moitié là. Et cela suscite une inquiétude peu propice à l’hilarité. Autant dire que le doute et l’inconnaissance sont le propre de l’homme lorsqu’il épouse, sans raideur aucune, le mouvement vers l’inconnu de l’élan vital. Quant à savoir si Dieu rit de l’homme …

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