Chesterton, The Poet and the lunatics
100 x 100 cm - 2013


Commentaire de l'artiste 

Avec l’humour solaire qui le caractérise, Gilbert Keith Chesterton s’interroge sur la nature profonde du génie. Le génie serait-il une forme extrême de la connaissance du monde ? Le romantisme issu du XIXème siècle nous a laissé croire que l’expression du génie nécessiterait de dépasser les limites de la rationalité pour rejoindre les rivages de la folie. Mais dans « Le Poète et les lunatiques », Chesterton affirme exactement le contraire. La nature du génie n’est pas l’excentricité car « Le génie doit être centrique ». Chesterton ajoute dans les mots de son personnage, un poète et peintre auquel il s’identifie, que le génie « doit être au cœur du cosmos et non pas en rotation à sa bordure ». Désigner le fou comme un « lunatique » correspond à une très ancienne croyance. Depuis l’antiquité grecque jusqu’à l’époque victorienne, les accès de démence étaient mis en corrélation avec les phases de l’astre lunaire. Dans la composition la lune du génie romantique roule à la bordure du cosmos, entre lumière jaune et ombre bleue. La page du livre présente un double point d’appui sur les contours du plus grand cercle qui figure l’univers sensible. Il ne faut cependant pas imaginer que l’angle supérieur droit du livre toucherait un point central, lequel serait d’ailleurs commun à la lune noire. Dire la Vérité n’est pas être au centre. Non, c’est exprimer la réalité toute entière, le visible et l’invisible, qui est « centrique ». Pour Chesterton, le génie consiste à en percevoir le monde comme une évidence englobante. La Vérité ne peut se réduire à n’être qu’un objet à l’intérieur de l’esprit. Pour Chesterton, pur britannique qui s’est converti sans crainte de bizarrerie au catholicisme romain, l’état poétique et l’état de sainteté tendent à se confondre. Un procèdé nominaliste intervient ici pour évoquer la conception du génie chez Chesterton. Le mot « genius » y est inscrit deux fois dans des positions signifiantes. Le mot en caractères bleus (ombre) saute aux yeux lorsqu’il se positionne au milieu de la lune noire, image du génie excentrique romantique dont le centre n’est que la source d’une pensée solipsiste. Le mot « genius » apparaît aussi en caractères jaunes (lumière) mais à un endroit qui semble de prime abord arbitraire. Un peu comme un acte zen dont l’apparent illogisme serait porteur de la plus grande vérité (une idée qui apparait dans une autre nouvelle du recueil). Au lieu de se trouver au milieu du cercle, l’expression du génie centrique apparaît à l’extérieur. Il est posé sur la bordure externe en amont du livre, comme pour désigner la force clarificatrice qui oppose la page blanche à la lune noire. La position du « genius » jaune peut paraître excentrique mais ce n’est pas le cas. Situé hors du cercle, le mot n’est en fait ni centré ni excentré. Il est tout simplement extérieur, comme un témoin qui aurait fait un pas de côté pour mieux percevoir le monde-vérité dans sa globalité. Le centre n’est pas le milieu du monde mais bien le monde lui-même. Le génie poétique de Chesterton procède de l’acceptation émerveillée du monde, lequel est présence de Dieu. Sa foi fait de lui le contraire d’un poète maudit, excentrique, seul. De là vient la force littéraire de celui que Georges Bernard Shaw décrivait comme un « génie colossal ». Et cette expression particulière du génie est présente peu ou prou dans tous les romans et essais de G. K. Chesterton.

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