de Camoes, Sonetos
120 x 120 cm - 2015


Commentaire de l'artiste 

Interroger l’esprit de Luís de Camões, c’est tenter d’apercevoir le plus profond de l’âme portugaise. Poète et aventurier, il parcourt les océans. Surtout célèbre pour avoir raconté les exploits de Vasco de Gamma dans « Os Luisiadas », il rédige également les « Sonetos . Il meurt en 1580, l’année où s’achève l’âge d’or du Portugal après la disparition tragique du Roi Sébastien Ier et l’incorporation du pays à l’Espagne jusqu’en 1668. Au-delà de cette disparition provisoire du royaume du Portugal, l’œuvre de Luís de Camões laisse à la postérité le sentiment d’une fierté nostalgique qui renforce l’identité portugaise. Singulièrement, il est le premier auteur à avoir évoqué ce mot si étrange pour les non lusitaniens : saudade. La saudade est réputée intraduisible en une autre langue que le portugais. Ce n’est pas la nostalgie, ce n’est pas la mélancolie, ce n’est pas le spleen. S’il s’agit d’un sentiment de vide empreint de tristesse, il s’ajoute à la saudade une énergie qui puise sa force dans le manque. Ce qui est une description du désir lorsqu’il se nourrit de l’absence. C'est parce que l’objet idéalisé du désir est inaccessible qu'il serait aussi délectable. De ce point de vue, la saudade semble être une esthétisation du manque. Dans la composition, le livre apparaît perdu au milieu d’un cercle noir, un océan de totale obscurité. Un vent contraire gonfle les voiles du livre fait caravelle, ce navire si agile face au vent qu’il donnait le supplément de courage nécessaire pour s’élancer vers l’inconnu. Pour le marin portugais à l’époque des grandes explorations, la caravelle incarne le sentiment contradictoire du départ voulu vers le lointain mêlé à l’espoir d’un retour incertain. Rejoindre le rivage, peut-être, c’est l’évocation de tous les désirs habités par le manque. Ce qui est représenté ici par des carrés aux tonalités rouges tourmentées de vagues et traversées par des interstices noirs et vides. Ils sont à l’image de ces Azulejos qui apparaissent au Portugal au moment où Luís de Camões lègue son œuvre littéraire à un peuple qui a tout perdu. Il est troublant de constater que le génie portugais ait choisit l’azulejos comme principal mode d’expression pictural pour les siècles à venir. Chaque carreau de faïence se doit de supporter l’entourage d’une fine ligne de ciment vide de forme. C’est à dire que le rien, absence nécessaire, a pour fonction d’unifier l’image. Dans l’azulejos comme pour la saudade, la présence de l’absence alimente une esthétisation. Le poème que la page-voilure donne à lire offre un exemple sublime de ce rapport intime entre contradiction et amour.

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