Emily Dickinson, Poems
117 x 80 cm - 2016


Commentaire de l'artiste 

La composition met en exergue l’agnosticisme d'Emily Dickinson en donnant la représentation d'une croix évidée et scindée. Mais pour la poétesse meurtrie par les disparitions de trop d’êtres aimés, il n’était pas possible de rejeter la possibilité d’une vie après la mort. Dans sa poésie, l’expression du doute religieux et le besoin d’éternité réapparaissent constamment. La recherche d’une représentation formelle de la pensée dickinsonienne donne l’occasion d'aborder en profondeur la symbolique de la croix. Celle-ci réunit en général deux axes dans un effort de résolution des contraires. Dressé, s’éloignant, l’axe vertical s’inscrit dans un plan spirituel. Couché, diffusant, l’axe horizontal s’inscrit dans un plan matériel. L’intersection se fait le lieu très particulier qui rend nécessaire la synthèse du spirituel et du matériel, de l’esprit et du cœur, de l’amour de dieu et de l’amour terrestre, du divin et de l’humain. La croix est une forme qui répond aux interrogations de la spiritualité déjà bien avant le christianisme. Elle apparaît dans d’innombrables représentations mystiques issues des anciennes cultures mésopotamienne, hindoue, inca, amérindienne et d’autres encore. Synonyme de supplice chez les romains, elle ne s’impose pas d’emblée à l’époque des premiers chrétiens. Mais la puissance symbolique de la croix où mourut le fils de Dieu fait homme s’impose. Sa forme se décline en dizaines de variantes dans une propension chrétienne à réinterroger encore et encore le signe de la croix. Donner une représentation formelle à la spiritualité d’Emily Dickinson donne l’occasion de créer une nouvelle croix. Une « croix écartelée » pour les agnostiques. Son axe vertical est creux, signifiant par là que le chemin que la religion trace vers le ciel n’offre pas un réel accès à Dieu. Les bras horizontaux de la croix sont scindés, sectionnés. Il s’agit d’évoquer l’impossibilité pour la poétesse de partager sa perception désespérée de Dieu dans le Massachussetts bien-pensant de la fin du 19ème siècle. Emily choisit de vivre recluse dans sa maison d’Amherst. Toujours vêtue de blanc, elle ne côtoiera jamais personne. "Earth would have been too much I see, and heaven not enough for me", dit-elle dans ce poème. Ni Dieu ni monde, ni ciel ni terre, Emily Dickinson avait fait le choix de l’intériorité. Chez elle, la quête d’éternité s’inscrit dans un espace de pensée intérieure qu’elle affirme infini. Seule compte l’intelligence. Elle dit dans un autre texte « The Brain is just the weight of God ». Dans la croix des agnostiques, lorsque disparaît son intersection, il n’y a plus de synthèse mais bien un chiasme. C’est dans l’espace laissé vide de l’intersection de la croix que l’esprit de la poétesse s’installe. Dans ce lieu où réside le doute de l’agnostique apparaît un orbe de lumière blanche, expression de la seule Vérité accessible. L’intelligence d’Emily était trop lumineuse pour supporter le mystère. Avec l’ironie dont elle fait souvent preuve en parlant de Dieu, elle conclut son poème par « Faith faints to understand ». C’est à dire que la foi défaille, comme par manque de courage dans le sens archaïque du verbe faint, à comprendre. Au bas de la composition, un socle de couleur bleue évoque la personnalité très cérébrale, obstinée et tourmentée d'Emily. Son aspect organique rappelle son lien fort aux choses de la nature qui peuplaient le jardin de sa maison, son unique monde.

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