Le héros du roman de Dostoïevski rêve d’un état de supériorité qu’un au-delà de la morale permettrait d’atteindre. Pour devenir surhomme, il affirme son absolue liberté par un crime. Il veut tuer au nom du bien de l’humanité. Dans la photographie, l’obscurité qui se forme en un cercle correspond au regard de Raskolnikov sur le monde. Le monde réel s’efface au fur et à mesure qu’il place sa faculté de raisonnement au-dessus de la perception des règles sociales. Sa transgression est un solipsisme en action. Mais le meurtre commis constitue une réalité pesante qui bouche son horizon. Raskolnikov s’enfonce dans son intériorisation comme dans un gouffre et produit sa propre punition. Encore et encore, le réel s’efface derrière ses obsessions. Au paroxysme de l'âme russe, il reste l'espérance du châtiment. Raskolnikov se l’inflige à lui-même en s’enserrant de tourments, à l’image du fil d’acier rouge sang qui emprisonne le livre. Pour Dostoïevski, la quête de soi-même demeure une question posée à Dieu. C’est pourquoi le fond sur lequel porte le regard est à la fois un trou béant et un ciel parsemé de nuages évocateur d’espérances. Il faut aussi voir dans les liens qui entourent le livre un avertissement adressé au lecteur. Défaire les liens pour en ouvrir les pages vous faire courir un risque. Les idées de Raskolnikov sont vénéneuses et déstabilisantes. Dostoïevski interroge l’attrait pour le mal qui est caché en tout homme. Il suffit de se pencher sur le gouffre-ciel en suivant l’exemple du héros du livre. La lecture de Crime et Châtiment impose une terrible fascination. Le génie littéraire de l’auteur est dans sa capacité à susciter de l’empathie pour ce personnage malsain lorsqu’il vous invite à comprendre sa folie. Beaucoup de questions ambiguës au sujet du bien et du mal ne trouveront pas de réponse. Chez Dostoïevski, la psychologie des profondeurs et ses épreuves de vérité conduisent à faire sien un principe d’inquiétude. >>> Back