Flaubert, L'Education sentimentale
88 x 88 cm - 2015


Commentaire de l'artiste 

Dans l’Education sentimentale, Frédéric est l’image de l’homme médiocre que Flaubert aurait pu devenir s’il n’avait fait un choix décisif : placer son art au-dessus de tout. Pour Flaubert, seul le Beau a du sens et le beau est le vrai. Son réalisme littéraire l’oblige à une discipline de travail écrasante qui ne laisse aucune place à la sentimentalité ou au romantisme. Chez Flaubert, un fond nihiliste est en balance avec sa conception vitaliste et sensuelle de l'art. Flaubert confiait ceci dans une lettre : " (...) s'il m'arrive quelquefois des moments âcres qui me font presque crier de rage, tant je sens mon impuissance et ma faiblesse, il y en a d'autres aussi où j'ai peine à me contenir de joie. Quelque chose de profond et d'extra-voluptueux déborde de moi à jets précipités, comme une éjaculation de l'âme. Je me sens transporté et tout enivré de ma propre pensée, comme s'il m'arrivait, par un soupirail intérieur, une bouffée de parfums chauds." Le caractère par essence non linéaire du roman est exprimé par les volutes organiques qui jaillissent du soupirail pour apparaître sur la véritable couverture de cette édition ancienne. Cette couverture est à l’image du roman de Flaubert. Frédéric, le personnage principal du roman, dit à la fin du livre qu'il a manqué à sa vie une "ligne droite". Il s’est contenté de subir les événements sans réel esprit de détermination. La progression du récit dans l’Education sentimentale est toujours soumise aux aléas. Comme dans la réalité quand il s’agit d’un esprit faible. L’écriture de Flaubert, qu’il compare lui-même à une production de sa semence, a cette faculté de produire un récit puissamment évocateur du vivant. Le créateur du réalisme en littérature est lui-même présent dans le socle de la composition, derrière une façade refermée sur l'auteur qui vivait ermite. Les barreaux devant la fenêtre du soupirail indiquent, eux, une direction claire. Leur forme emprunte au style Louis-Philippe contemporain du récit. Dans la photographie apparaît un contraste entre obscurité et luminosité. Le socle-façade et l’arrière du livre avec le titre et nom de l’auteur sont plongés dans la nuit. Tandis que le soupirail produit une lumière et que la couverture du livre en reçoit. Le dialogue entre ombre et clarté fait écho à plusieurs oppositions : entre sens et néant chez l’auteur, entre Eros et Thanatos, entre beauté de l’oeuvre et souffrance de sa création, entre recherche de l’amour ou de la solitude, entre la précision d’un langage précis taillé au scalpel et l’indéterminisme total de la réalité qu’il décrit. Sans perdre de vue l’idée globalisante que ces éléments sont toujours indissociables. Et pour souligner aussi que le réalisme de Flaubert se nourrit de son rejet du romantisme.

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