Kosuth, Place de l'écriture
80 x 119 cm - 2012

Commentaire de l'artiste 

Figure de proue de l'art conceptuel, Joseph Kosuth voit dans l'art un pur langage. Pas d'esthétique : seulement des idées. Voilà le conceptualisme. Il s’agit de produire du sens sans que l’expression de l’artiste soit aucunement conditionné par un objectif de beauté. L’art ne doit plus être affaire de goût. Il peut même ne pas être tributaire de la forme. Ce qui est art est la pensée que l’artiste veut art. Peu importe sa matérialité, voire sa non matérialité. Joseph Kosuth réduit le travail de l’artiste à une tautologie : « l’art est la définition de l’art ». Pourtant, toujours, l’œuvre d’art a un poids. Ce que l’artiste met au monde est forcément soumis aux lois de la pesanteur. Fut-ce le poids d’une idée. Ce livre contient une interview de Kosuth qui évoque une de ses œuvres. Il est relié par une corde tendue à un bloc de pensée noir : le concept. L’équilibre semble parfait. L’est-il ? La question est posée et le caractère instantané la photographie ne permet pas de répondre. Libre au spectateur d’avoir son opinion à ce sujet et le suspense reste entier. Une chose paraît cependant certaine dans la photographie. Le livre et l’œuvre d’art qui en est le sujet sont caractérisés par un poids. Et celui-ci est différent du poids du concept. Le carré noir, en position de force, n’est soulevé du sol que de quelques millimètres. La situation du rectangle blanc du livre est précaire. Dans l’instant qui suivra le présent de la photographie, il pourrait s’avérer que le livre, c’est à dire l’œuvre d’art, s’avère plus lourd que le carré noir, c’est à dire le concept. Si tel devait être le cas, le livre tombera en faisant basculer le carré noir. Il n’est pas impossible, toujours en fonction des poids respectifs de l’œuvre et du concept, que le carré noir soit entraîné dans le gouffre à la suite du livre blanc. Dans la photographie, la question du caractère essentiellement dual de l’œuvre d’art est posée. Tout comme il apparaît que le « monde » qui sert de contexte à l’œuvre d’art contient deux éléments. Un espace immatériel bleu et une masse solide brune sans laquelle ni le livre ni le carré noir ne pourrait être caractérisé par un poids. Par extension, il y a le constat qu’une œuvre d’art est à la fois pensée et matière. Ce qui est aussi le cas de l’artiste, du spectateur et plus généralement du monde où l’art existe. Il ne paraît pas possible d’échapper à cette réalité. Même lorsque l’œuvre d’art est éphémère ou postule une dématérialisation. Justement, ce livre blanc, de quoi parle-t-il au juste ? De la place de l’écriture comme sujet de réflexion de l’artiste. Réflexion qui a débouché sur une création, en l’occurrence un gigantesque agrandissement de la Pierre de Rosette découverte par Champollion. La pierre reproduite couvre le sol d’une petite place dans la ville française de Figeac. L’œuvre conceptuelle de Kosuth s’avère être d’une stupéfiante beauté. Telle n’était peut-être pas l’intention de l’artiste conceptuel. Mais c’est un fait. Pour aller plus loin, si l’on fait l’exercice de mettre entre parenthèse le sens de ses autres œuvres, un constat identique peut être fait. Belles, en réalité, elles le sont toutes. L’œuvre de Kosuth est belle parce que sa pensée l’est aussi. Concept et esthétique sont sur un pied de parfaite égalité. Dans une œuvre d’art, leurs poids respectifs me paraissent devoir être identiques. Voilà pourquoi, au final, j’ai pour ma part la conviction personnelle que le livre montré dans cette photographie ne tombera pas.