Melville, Bartleby
150 x 150 cm - 2014


Commentaire de l'artiste 

Le métier de Bartleby consiste à copier des documents légaux. En réponse aux ordres de son employeur, il donne à chaque fois cette réponse devenue célèbre : « I would prefer not to ». Sans expression d’une volonté positive ou négative, par ce refus de dire oui ou non, Bartleby crée un vide dans le langage, un espace de totale indétermination. Melville n’évoque pas « une volonté de néant », pour reprendre les mots du philosophe Gilles Deleuze, mais bien « un néant de volonté ». Melville invente une nouvelle forme de langage qui exprime le zéro. Une « pure passivité patiente » comme dira Maurice Blanchot. Dans la composition, les pages du texte forment une roue désespérément immobile au centre d’un fond blanc. Un immense zéro au centre du Rien. Une corde noire est placée à tous les endroits du récit où l’employeur de Bartleby, le narrateur, essaye de convaincre le copiste d’exprimer un choix autre que l’immobilité. Autorité, persuasion, menace, supplique, promesse, rien ne lui permet de faire bouger Bartleby. Tous ses efforts restent vains et la roue ne tourne pas, jusqu’à la mort du non-héros. En fonction de l’intensité des différents moments de tension entre Bartleby et son employeur, la traction fait incliner plus ou moins les cordes. Au plus grande est l’insistance, au plus fermé est l’angle entre la roue du livre et l’axe de la corde noire. Mais la force qui tire les cordes n’apparaît pas. La solitude de Bartleby demeure absolue. Au final, l’ensemble de la composition est une transposition fidèle, évidente, du schéma de l’œuvre représentée. Plus largement, c’est la démonstration qu’il existe une connexion fondamentale entre une expression littéraire et une expression plastique, entre un récit et un dessin, entre le langage et la forme quand il s’agit justement d’évoquer un au-delà du langage.

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