Nietzsche, La naissance de la tragédie
120 x 120 cm - 2012


Commentaire de l'artiste 

Dionysos et Apollon seraient les parents nietzschéens de l'Art. Comment l'instinct s'allierait-il à l'esprit ? Cette opposition ne finira jamais d’interroger l’artiste. Le dionysiaque est l’indicible, ivresse dans l’indifférenciation, expérience charnelle du jouir et du souffrir. Mais l’artiste qui fait appel au ressentir doit aussi montrer. L’apollinien est connaissance, interprétation du rêve, expérience intellectuelle du beau. Mais l’artiste qui fait appel à l’esprit doit aussi émouvoir. Nietzsche lui explique ce à quoi il ne peut échapper : « Nous aurons beaucoup fait pour la science esthétique, quand nous en serons arrivés non seulement à l’observation logique, mais encore à la certitude immédiate de cette prise de position selon laquelle le développement de l’art est lié à la dualité du dionysien et de l’apollinien : de la même manière que la dualité des sexes engendre la vie au milieu de luttes continuelles et par des rapprochements seulement périodiques. » A gauche de la composition, en préséance, la page bleue dévoile Apollon. Soulevée par une force naturelle qui vient des profondeurs d’un fond dionysiaque rose et chaud. A droite, au fondement, la page rose laisse entrevoir Dionysos. Déployée sous la pesanteur d’idées jetées du ciel sur un fond bleu et froid. L’opposition entre la couleur de la page en extension et le fond qui apparaît derrière le livre est nécessaire. Pour distinguer l’apollinien du dionysien, et réciproquement, l’artiste doit rendre manifeste leur différence. Ces deux réalités de l’œuvre d’art, double espérance de l’artiste, sont séparées par une large ligne noire verticale au centre de la photographie. Elles semblent ne jamais pouvoir communiquer entre elles. Faire passer l’épreuve de ce paradoxe par la démonstration ou l’émotion ne pourrait pas suffire. Il y a une magie dans l’œuvre d’art picturale ou photographique qui, parfois, peut davantage. Cette magie est issue de l’équilibre révélateur d’une composition qui devient épiphanie quand dans sa justesse elle dit le vrai. Voilà ma tentative dans cette photographie. L’apercevez-vous, ce point central, synthèse invisible des forces qui se conjuguent dans la composition ? Quand les barres noires horizontales pressent les pages du livre et que celles-ci s’opposent dans une même tension. Elles forment un axe oblique tout en indiquant par leurs pressions opposées un milieu qui se situe sur la ligne noire centrale. Ou plutôt sur une portion seulement de cette séparation formaliste. Un tronçon délimité par les deux barres transversales apparaît subitement isolé. A cet instant de l’observation, dans l’espace fugitif d’une impression, il reste le moins possible de l’obstacle qui empêche Apollon de rencontrer Dionysos. Une séparation demeure cependant. Pour croire en l'art, un pessimisme nécessaire traduit une vision duale. Comme dans les antiques tragédies grecques d’avant la rationalité, ainsi que le pensait Nietzsche.

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