Shakespeare, Hamlet
109 x 80 cm - 2012


Commentaire de l'artiste 

Il s’agit essentiellement de ces quelques mots qui sont peut-être les plus célèbres de la littérature mondiale : « to be or not to be ». L’emplacement de chacune des formes noires et grises répond à une logique très précise. Un premier rectangle noir masque la célèbre question posée par Hamlet sur la page ouverte du livre. Elle est si célèbre que chacun sera capable de la deviner en lisant les mots qui suivent. Le masquage permet de mettre la phrase en exergue et, déjà, la question d’être ou ne pas être est posée. Un second masque noir de taille identique apparaît dans la composition, sur un plan parallèle. Il a d’abord pour fonction d’extraire le questionnement de l’espace concret du livre, par un mouvement de translation, pour le faire entrer dans l’espace abstrait de la composition. L’espace du livre est celui du questionnement tandis que les formes abstraites qui l’entourent sont le lieu d’une tentative de réponse. Le second masque noir rectangulaire établit par contact un lien avec un triangle gris qui représente le doute que la question d’Hamlet introduit. Il tire le triangle gris du doute afin de le maintenir en position adéquate et d’empêcher le livre de glisser. S’il penchait un peu plus à droite, le triangle laisserait tomber le livre dans le néant. S’il était fixé plus à gauche, le livre ne risquerait plus rien et il n’y aurait pas de doute. Si les deux rectangles noirs sont similaires, c’est aussi parce que le fait de poser la question d’être ou de ne pas être constitue en soi une forme de réponse. Dans une perception chrétienne à laquelle Shakespeare ne peut échapper, dès lors que le doute apparaît, vient immédiatement la crainte de la chute en enfer. Ce doute équivaut en effet à envisager un suicide, lequel ne peut que déplaire à Dieu et suscitera le risque d’une damnation éternelle. L’enfer n’est pas dit comme tel par Hamlet quand il évoque l’au-delà. S’il s’agit de « rêver peut-être » dans la suite de la tirade c’est pour mieux maintenir le doute en suspens. Pour un croyant comme pour un incroyant, évoquer explicitement l’enfer supprimerait le moment du doute. Plus loin dans le texte, Hamlet se demande si Dieu, pour autant qu’il existe, n’imposera pas un châtiment plus terrible qu’une vie de souffrance à qui aurait mis fin à ses jours. Voilà la vraie question dont au fond il s’agit ici : celle de l’existence de Dieu. La réponse qui se présente à Hamlet est tragique. Elle est dictée par la peur d’une chute brutale depuis un triangle vertical noir, falaise qui représente la voie du suicide vers la mort. Plus loin dans la tirade, Hamlet ajoute « Ainsi la conscience fait de nous autant de lâches … ». De toute évidence, Hamlet demeure obsédé par l’idée qu’il est possible d’arriver au même néant par le chemin d’une pente douce, c’est à dire la vie de souffrance qu’il faut endurer pour plaire à Dieu. Cet autre chemin vers la mort est représenté par le second triangle noir couché, indissocié du premier par un unique point invisible.

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