Sherlock Holmes, The Hound of the Baskervilles
100 x 100 cm - 2016


Commentaire de l'artiste 

Arthur Conan Doyle a littéralement ployé sous la pression des lecteurs qui étaient persuadés de l’existence positive de Sherlock Holmes. L’immense succès rencontré par ses romans mettant en scène le célèbre détective a donné au phénomène une ampleur oppressante. A tel point que Conan Doyle, harcelé par des lecteurs qui ne voient désormais en lui qu’un personnage secondaire dans l’ombre de son propre héros, finit par déclarer : « Si je ne tue pas Holmes, c’est lui qui me tuera ». Lorsqu’il fait exécuter Holmes par l’entremise de Moriarty dans Le dernier problème, roman au titre évocateur, l’émoi du public prend des proportions délirantes. Lettre de suppliques, d’insultes, crises de nerf chez les libraires... Conan Doyle va résister autant qu’il pourra à la pression des éditeurs. Et puis quelque chose va se briser chez cet homme que la détermination, le courage physique, la puissance intellectuelle et la force morale caractérisaient jusque-là. Il se résoudra à redonner vie à Holmes mais sa personnalité va lentement se dissoudre et péricliter, vampirisée par celle de Holmes dont beaucoup de gens sont persuadés de l’existence réelle. Conan Doyle perd sa crédibilité en faisant la promotion du spiritisme. Revirement inouï pour ce médecin agnostique qui se vouait au rationalisme et qui croit désormais à la réalité d’êtres de pensée... C’est dans Le chien des Baskervilles, épisode préquel, qu’il se résout à ressusciter Holmes. Sur la couverture de l’édition originale américaine de 1902, une photographie du détective a été collée. Comme pour dire : il est vivant. Dans la composition, le livre est plongé dans l’ombre et en retrait. Un coup de projecteur centré sur le portrait de Sherlock Holmes souligne sa prééminence. Le roman est marqué par la hantise de la dévoration, ce qu’évoquent les deux séries de prismes triangulaires, telle une gueule ouverte prête à se refermer. Conan Doyle est le premier à subir cette crainte d’être dévoré par sa création. Mais l’auteur crée le sentiment trouble que Sherlock court le risque d’être lui aussi dévoré par un chien monstrueux qui hante une lande où des bourbiers peuvent tout aussi bien engloutir un homme. Dans le conflit qui oppose l’écrivain à son héros, c’est à qui dévorera l’autre. Ce sentiment de dévoration, crainte et désir inavoués pour l’auteur, correspond à une pulsion fusionnelle marquée d’interdit. Comme dans le rituel cannibale, il s’agit de manger l’autre pour faire vivre en soi son esprit. Ce qui rend le personnage de Holmes aussi vivant réside peut-être dans la puissance originale du génie qui le caractérise. Le fonctionnement de son intellect crée un spectacle qui suscite la fascination. Les pièces d’un puzzle sphérique émanent d‘un point central qui est le cerveau de Sherlock Holmes. Elles sont reliées par des faisceaux reproduisant la matière de la couverture du livre. De fait, le génie particulier du détective réside dans sa capacité à faire la synthèse d’une multitude de détails observés. Il voit la réalité comme un système dont tous les éléments sont liés. Son investigation porte au plus haut point une logique de déduction holistique. Le moindre fait correctement analysé lui permet de déduire les événements qui l’ont provoqué ainsi que les conséquences qui en découleront. Il élimine systématiquement les interprétations impossibles, reste la bonne. Exactement comme pour un puzzle sphérique où chaque élément est également constitutif d’une réalité́ globale.

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