Quand il écrit « De l’amour », Stendhal peinait à se guérir du désarroi que lui infligeait le dédain de Matilde. Dans cet essai, il tente une analyse méthodique du phénomène amoureux et d’abord de l’amour-passion. Il utilise le terme devenu célèbre de « cristallisation » pour décrire le moment où même les imperfections de l’être aimé deviennent autant de motifs à l’amour. Dans une approche sensualiste, il explique que la cristallisation a lieu parce que la nature commande au cerveau d’avoir du plaisir. Placée au centre de la photographie, une sphère de fils d’or évoque ce phénomène de cristallisation où, dans le désordre de leur enchevêtrement, les sentiments alimentent une fascination de nature esthétique. Si la composition triangulaire est coiffée par un triangle rose, c’est pour signifier la dimension narcissique de la vision stendhalienne de l’amour. Son idéologie fait de l’homme sensible un être supérieur. Il justifie l’égotisme comme étant une qualité chez celui qui s’auto-analyse afin de se connaître soi-même. La fascination pour ses propres sensations est pour lui une source d’énergie. Ce culte de l’égo permet la recherche du bonheur en usant des ressources de son imagination. Cette idéologie hédonistique qui fonde l’attitude des héros dans les romans de Stendhal sera plus tard qualifiée de « beylisme » (du nom véritable de l’auteur, Henri Beyle). Le livre ouvert se dresse sur sa couverture jaune pour initier un mouvement vertical suivant un axe central entre la base et le sommet d’une composition triangulaire. Il évoque la priorité donnée à l’égo. L’énergie de ce mouvement vertical est multipliée par la forme des pages repliées. Elles forment un cœur, manifestation du sentimentalisme dont le livre procède. La naïveté du symbole se justifie quand on sait que Stendhal n’avait pu se faire aimer de celle qu’il appelait « Métilde », non sans affectation, à cause de ses innombrables maladresses. Il reste que le triangle formé par le livre, la sphère dorée et la forme rose forme un ensemble doté d’une énergie particulière. La fascination qu’exerce l’amour s’impose à tous et toujours. Chez Stendhal, la beauté des sentiments est érigée en Vérité. Très opposé au christianisme, il a créé une religion alternative. L’amour passion apparaît comme un autre versant du sacré. L’égotisme est en contradiction avec le don de soi chrétien. Le culte de l’individu, l’amour de soi-même dès lors qu’il s’agit d’aimer avec passion donc de s’abandonner à la fascination de son propre sentiment amoureux, tout cela est en contradiction fondamentale avec l’ascétisme chrétien. Stendhal préférera l’idéal franc-maçon qui fait passer au premier plan le bonheur de l’homme. Son engagement maçonnique se développe à l’époque de sa passion pour Matilde, passionaria du mouvement de libération de l’Italie des Carbonari alors porté par la franc-maçonnerie milanaise. A cet égard, la forme triangulaire de la composition peut également être perçue comme une évocation du triangle maçonnique. Une analogie entre la sphère dorée de la cristallisation et l’oeil omniscient permet de souligner à quel point la fascination de l’amour donne sens au monde vu par Stendhal. Certes, il serait exagéré de faire de Stendhal un philosophe. L’amoureux transi avait érigé en système l’analyse de ses propres sentiments. Il avait pu se guérir de son chagrin mais sans vraiment convaincre les intellectuels de son époque. Seulement quatre exemplaires de « De l’amour » furent vendus. Mais l’on peut penser que la souffrance causée par l’amour passion chez Stendhal, l’expérience réflexive de son analyse si minutieuse, rendra possible ses futurs chefs-d’œuvre. >>> Back