Musée de la Photographie de Charleroi

Presentation of the exhibition "NOOSPHERE" - 9/2021

 

Philosophie appliquée, photographie impliquée

Par François de Coninck


« Il y a livre – et lecture, existence et raison d’exister – s’il y a d’abord un texte. C’est-à-dire une expression symbolique de sens. Aussi le livre donne-t-il à voir ce qui autrement s’écoute : le produit de l’invisible et silencieux exercice de la pensée. » - Alexis Bonew, « L’objet et le livre » in Journal de l’Antiquaire, Bruxelles, 1976


Le livre est le support électif de la pensée. Nul objet ne lie de façon aussi inextricable matérialité et abstraction – la première étant au service de la seconde, car il s’agit de ne pas confondre l’essentiel et l’accessoire. Gauthier d’Ydewalle ne se laisse pas emporter par la seule jouissance esthétique des caractères accessoires du texte – ces éléments qui font du livre un objet matériel de plaisir visuel et sensuel : c’est plutôt l’amour de la réalité véritable, élémentaire et essentielle du livre qu’est le texte, cet objet immatériel, qui fonde sa passion pour la philosophie et la littérature, et qui nourrit en conséquence son travail plastique. Ainsi, c’est la noosphère – du grec noüs, l’esprit, et de sphaira, la sphère – que ses compositions photographiques nous invitent à explorer, en prenant le temps qu’exige la pensée lente, longue et profonde qui prend forme et vie en se structurant dans les livres. En perpétuelle expansion comme l’univers physique, la noosphère est donc l’espace de l’esprit critique, dédié aux idées et aux concepts. Elle se distingue de la biosphère, l’espace où se déploie le vivant – les objets matériels animés – comme de la géosphère, l’espace qui regroupe les objets matériels inanimés. Les pensées réfléchies, elles, sont bien des objets immatériels animés : des entités intellectuelles vivantes qui ont acquis, grâce aux livres, une existence propre, autonome. Car chaque poème, essai ou roman invente un monde, crée un univers peuplé de figures, d’idées, de personnages qui vivent ensuite leur propre vie. Cet univers se regénère sans cesse : il reprend vie à chaque fois qu’un lecteur s’en empare, avec sa propre subjectivité.


Aussi la nature vivante du livre ne fait aucun doute pour l’artiste : le livre est l’enveloppe physique de la vie de l’esprit – il en est sa chair. Comme le corps humain, le papier imprimé et relié pour former un livre où éclôt une œuvre littéraire ou philosophique est une matérialité physique qui rend possible une relation intellectuelle, émotionnelle, affective avec l’esprit de l’auteur dont l’œuvre de pensée est capable de susciter l’amitié, l’amour, la répulsion, la haine, les larmes ou le rire du lecteur : pas moins qu’un être vivant, il est en effet possible d’aimer ou de haïr un livre, de le désirer ou de ressentir du dégoût à son égard. Les compositions photographiques de Gauthier d’Ydewalle visent à restituer, dans une forme plastique soigneusement échafaudée, cette intimité quasiment charnelle que nous pouvons connaître avec un livre. Il s’agit donc de le rendre présent, attirant, fascinant voire obsédant. Ainsi, comme le portraitiste qui s’emploie à saisir l’expression de l’âme, à fixer sur la pellicule l’intériorité, l’identité profonde d’êtres de chair, Gauthier d’Ydewalle photographie les êtres de pensée que sont les livres en les immergeant dans des compositions qui ont pour vocation d’exprimer le substrat, l’originalité, le génie – bref : la personnalité unique – de l’œuvre littéraire, philosophique ou poétique qui fermente en eux.


Pour ce faire, sa méthode est de ne rien laisser au hasard. Tous les éléments représentés font sens : chaque composition a sa justification, chaque détail sa signification. Tout se veut langage : rien n’est fortuit dans ce jeu où la forme plastique se fait signe. L’expression des postures, l’agencement des volumes et des formes, la trajectoire des lignes droites ou courbes, les tensions entre les textures et les couleurs, le jeu des teintes et de la lumière doivent permettre de dégager un système de relations significatives qui puisse dire, à son tour, l’essentiel de l’extraordinaire présence de ces livres, de leur existence toute personnelle et de leur intériorité. Gauthier d’Ydewalle tient d’ailleurs à nous donner les clés pour décrypter son langage visuel : ses commentaires, précieux, font partie intégrante de cette œuvre entre philosophie appliquée et photographie impliquée qui renouvelle, par la singularité de sa démarche, le genre de la photographie plasticienne.

 

 

 

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